Archétype signifie « original ». Sa définition la plus élémentaire est celle de modèle original ou idéal sur lequel est réalisé un ouvrage ou une œuvre… Platon a évoqué ce concept dans l’un de ses derniers dialogues le Timée. Pour le philosophe, il jouerait un rôle de prototype des réalités visibles du monde. L’archétype correspondrait à des préformes vides qui structurent les représentations mentales.[1] On observe des formes communes dans les images diffusées dans les médias (typologie de sujets).[2] Certaines présentent entre elles des points communs et ont un impact retentissant auprès du public. Elle s’inscrivent durablement dans la mémoire collective des événements concernés et leur impact est important.[3] Le concept de mémoire collective a été introduit par le sociologue Maurice Halbwachs. Il propose une dimension collective et sociale à la définition de la mémoire dans un contexte de temps, de durée et de lieu. Elle est une forme de pensée sociale, autonome puisqu’il s’agit d’une somme de souvenirs partagés au sein d’un groupe au-delà de la mémoire de ses membres. Les deux types de mémoires évolueraient à travers une conjointe interaction entre les deux notamment par la remémoration. Le contenu de cette mémoire se caractérise par des typologies de faits clairement identifiés. Les catastrophes ou les circonstances les plus choquantes et les plus marquantes appartiennent à cette mémoire. Les photographies les plus connues s'inscrivent dans une tendance générale. La question n'est pas de placer la photographie de presse dans une lignée composée de genres picturaux telle la peinture d'histoire, mais d'aller chercher au plus profond de notre histoire ce qui explique ce besoin de se rapprocher d'une imagerie qui nous est parfaitement familière. La notion d’archétype est un élément important dans le photojournalisme aussi bien dans la construction de l’image type du photoreporter que dans la photographie elle-même. La photographie de reportage a des liens avec la peinture d’histoire et la peinture religieuse, mais répond surtout à un besoin ancestral de s’intéresser à des sujets élémentaires de notre propre existence. La réminiscence de la peinture classique dans le photojournalisme est une réponse partielle, car le photojournalisme comme la peinture classique semblent puiser des formes communes et des archétypes dans un passé plus lointain. Dans les photographies de reportage qui s’intègrent à la mémoire collective, plusieurs comportent des éléments archétypaux qui tendent à étouffer le sens, pour nous parler d’un thème intemporel ou universel. En étudiant en détail les photographies reconnues par un nombre important de personnes, on s’aperçoit que bien des paramètres contribuent à en faire des images inoubliables, indépendamment de leur qualité esthétique et technique et de leur force visuelle. [2] Elles contribuent très largement à entretenir la mémoire collective de l’histoire.
Internet, comme canal de diffusion, contribue à alimenter la mémoire collective en diffusant des photographies déjà connues. La pluralité des regards diluera-t-elle les archétypes dans un flux continu d’images ? Au-delà de cette utilisation d’internet, revenons quelques instants sur le sujet photographique pour mieux comprendre ces nouveaux enjeux. En 1998, l’universitaire Frank Hoffmann a suggéré le concept de guerre hybride qui a été popularisé à partir de 2005. Les guerres hybrides incorporent une large gamme de tactiques de guerre. L’ennemi mélange donc tous les types d’actions dans le temps et dans l’espace pour atteindre les objectifs : terrorisme, action conventionnelle, propagande, cyberguerre et piratage, déstabilisation économique… La propagande fait partie intégrante du mécanisme d’attaque et Internet y joue un rôle important. La guerre ne se déroule plus dans un espace-temps délimité. Nous ne sommes plus dans une approche locale où un secteur est circonscrit par des frontières, mais dans une approche globale ou devrais-je plutôt dire une attaque globale. L’immatériel et les avatars se mêlent au matériel et à l’humain. La dimension humaine se perd au point de rendre difficile la visibilité des actions menées. Un trait frappant de la guerre contemporaine réside en la volonté d’agir cachée, voire anonymement. On comprend mieux dès lors l’importance croissante du « soft power » qui permet entre autres d’informer ou de désinformer en ayant une influence par des moyens non coercitifs et non militaires en opposition avec le « hard power ». Cette nouvelle forme de guerre à la fois moins visible et plus complexe est l’un des principaux défis pour les médias du XXIe siècle.
[1] Le psychiatre Carl G. Jung est certainement celui qui a le plus traité la notion d’archétype dans son œuvre. D’ailleurs, il fait évoluer sa théorie au fil de ses recherches au point de parler d’une « image primordiale ». Sigmund Freud parle de « résidus archaïques », une sorte de reliquat d’une expérience ancestrale commune à l’espèce humaine. [2] Travaux de recherche : Thèse : « Approches esthétiques et théorétiques des archétypes dans le photojournalisme » (F. Gaillard, Paris 8) Pour en savoir plus : https://univ-paris8.academia.edu/FrédériqueGaillard [3] Création de protocoles d’analyse d’images, analyse factorielle de correspondances. Recherches en cours avec d’autres logiciels. L’AFC et sa structuration des données montrent que beaucoup s’enferment par des particularités communes.
par Frédérique Gaillard, Chargée d'enseignement supérieur
Thèse : "Approches esthétiques et théorétiques des archétypes dans le photojournalisme. À partir du World Press Photo (1956-2013)"
@FrederiGaillard